Une gestion correcte de l’absentéisme est aujourd’hui plus importante et plus complexe que jamais. D’autant plus que les tribunaux du travail sont de plus en plus souvent saisis d’affaires de discrimination fondée sur la santé. La clé : une politique d’absentéisme large, claire et bien communiquée. Bart Teuwen, expert en absentéisme chez Mensura, et Steven Renette, avocat en droit du travail chez Mploy, mettent en lumière les principaux pièges juridiques et les solutions pratiques.

« Le nombre de cas de discrimination dans le domaine du droit du travail est en nette augmentation », estime Steven. « Sur les 760 cas de discrimination recensés en Belgique entre 2009 et 2019, 86 % ont été portés devant le tribunal du travail. »

Au début de cette année, par exemple, le tribunal du travail d’Anvers a statué sur une affaire remarquable. Une entreprise imposait aux collaborateurs déjà absents à trois reprises dans l’année de se présenter devant le médecin de contrôle à chaque nouvelle notification de maladie. Le tribunal a jugé que cette mesure n’était pas légitime et qu’elle constituait une discrimination fondée sur l’état de santé. Cette affaire illustre une réalité juridique de plus en plus fréquente : traiter différemment les travailleurs malades (même avec les meilleures intentions du monde) peut, en l’absence d’une politique d’absentéisme rigoureuse, dégénérer en affaire de discrimination.

Discrimination : critères protégés

La législation belge définit quelque 35 critères de discrimination : des caractéristiques personnelles sur la base desquelles il est légalement interdit de pratiquer une discrimination (notamment sur le sexe, l’âge, la nationalité, la religion…). Deux d’entre eux sont aujourd’hui plus fréquemment cités dans les affaires de droit du travail : l’état de santé et le handicap.

« Le terme “handicap” n’étant pas défini par la loi, les juges se basent sur une définition plus sociale », explique Steven. « Dans ce contexte, un “handicap” est une affection de longue durée qui empêche de participer pleinement à la vie professionnelle, comme la surdité ou une mobilité réduite. L’état de santé”, quant à lui, fait référence à des problèmes médicaux qui ne sont pas nécessairement de longue durée, mais qui peuvent donner lieu à une protection, tels que la grippe ou le burn-out. »

Dès lors que l’employeur a connaissance qu’un collaborateur est concerné par un critère de discrimination, cela peut entraîner des conséquences importantes. Vous ne devez pas traiter cette personne différemment des autres et, dans le cas d’un handicap, vous êtes tenu, en tant qu’employeur, de procéder à des aménagements raisonnables sur le lieu de travail. En l’absence d’ascenseur, il est par exemple préférable d’attribuer un bureau au rez-de-chaussée à un travailleur en fauteuil roulant.

Action préventive ou acharnement ?

Il arrive que l’on veuille agir de manière préventive avec les meilleures intentions du monde en surveillant de près un travailleur absent, mais cela peut être perçu comme de l’acharnement. Vous pouvez éviter cela en adoptant une politique transparente en matière d’absentéisme, avec des objectifs, des rôles et des responsabilités clairs, et une feuille de route précisant qui assure le suivi de quoi et quand.

« Montrez à vos collaborateurs pourquoi votre politique d’absentéisme est importante et quels objectifs elle poursuit », conseille Bart. « Il peut s’agir d’objectifs généraux tels que l’amélioration du bien-être commun, la survie économique de l’organisation, la garantie d’un service de qualité pour le client… Sans de tels motifs, vous courez le risque de pratiquer une discrimination involontaire. Souvenez-vous de l’affaire jugée à Anvers. Il peut sembler logique de soumettre automatiquement les personnes souvent malades à des contrôles plus stricts, mais ce n’est pas correct d’un point de vue juridique. »

Il importe également de parler régulièrement de votre politique d’entreprise à vos collaborateurs. Ainsi, ils comprendront mieux pourquoi vous prenez ces mesures : pour parvenir ensemble à une solution viable, et non pour cibler ou exclure certaines personnes. Cela permet d’accroître la transparence et d’éviter les discussions du type « Pourquoi moi et pas mon collègue ? ».

Un objectif légitime

Nuance importante : les personnes concernées par les critères de discrimination ne sont pas pour autant placées sur un piédestal. « En tant qu’employeur, vous pouvez toujours discuter avec elles de leur employabilité et prendre des mesures si leur absence devient problématique », précise Steven. « Même le licenciement est une possibilité. Mais vous devez toujours être en mesure de démontrer que vous poursuivez un objectif légitime et que votre approche est appropriée et nécessaire. Faute de quoi, les conséquences peuvent être lourdes, comme le versement de six mois de salaire en dommages et intérêts. »

Dans l’affaire d’Anvers, l’employeur concerné al’employeur concerné a justifié les contrôles médicaux supplémentaires en invoquant le « bien-être des collaborateurs ». Mais il s’est fourvoyé. « Le médecin de contrôle peut uniquement évaluer l’incapacité de travail, et non le bien-être d’une personne », clarifie Bart. « L’objectif déclaré n’était donc pas légitime. »

Nécessité de documenter

Vos actions doivent non seulement s’inscrire dans le cadre de votre politique, mais vous devez également être en mesure de présenter des documents à l’appui. Il est donc important d’évaluer objectivement l’impact de l’absentéisme sur votre organisation et de le rendre mesurable.

« Un exemple : les dirigeants et les responsables RH jugent souvent les entretiens d’absentéisme inutiles », explique Bart. « Or, ils sont au contraire extrêmement importants. Non seulement parce qu’il s’agit d’un moment d’échange avec votre travailleur, mais aussi d’un point de vue juridique. En menant ces entretiens de manière efficace et en les documentant, vous pourrez démontrer par la suite que vous avez appliqué votre politique de manière cohérente pour tout le monde. »

Entretiens d’absentéisme : qu’est-ce qui est ou pas autorisé ?

Comment mener des entretiens d’absentéisme sans franchir les frontières médicales ?

« Concentrez-vous sur l’impact de l’absence au travail », conseille Bart. « Supposons qu’un soignant ne puisse plus aider ses patients à sortir du lit en raison d’une limitation physique. Cela affecte votre service et vous pouvez donc soulever le problème, sans trop insister sur l’aspect médical. Demandez également comment vous pouvez apporter du soutien. »

Nous sommes là pour vous aider

En résumé, le traitement inégal de vos travailleurs malades doit avoir un but légitime et s’inscrire dans le cadre de votre politique. La transparence, des critères clairs et une politique d’absentéisme largement acceptée et soutenue par une communication claire sont essentiels à cet égard.

Un service externe tel que Mensura peut vous aider à élaborer une politique transparente et motivée. Non seulement par des conseils politiques et des feuilles de route pratiques, mais aussi par une expertise ergonomique et psychologique permettant d’évaluer objectivement votre charge de travail.

« Nous constatons que de plus en plus de problèmes de santé donnent lieu à des plaintes pour discrimination, et ce phénomène est loin d’avoir atteint son point culminant », conclut Steven. Bart ajoute : « Les entreprises qui ne disposent pas encore d’une politique en matière de bien-être ou d’absentéisme ont tout intérêt à en mettre une en place rapidement. »